Les goûts d’avant

Voilà bien une vaine tentative ; reproduire les saveurs de l’enfance. Toutefois il arrive qu’une bouchée, une texture, un goût activent en un éclair un souvenir d’antan. Une case de mémoire qui se met subitement en lien direct avec les sens. Une émotion dont on avait un peu perdu ou oublié le chemin. Un vieux truc rangé quelque part, sur lequel on remet la main par hasard.

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Des années à chercher cette forme de justesse du souvenir, à confectionner des recettes aux pouvoirs magiques du retour dans le passé. Pas seulement bon – ou pas spécialement bon – mais spécialement évocateur. J’imagine que seuls mes cousines, cousins, frère et autres ayant goûté aux recettes de Manou (notre grand-mère, NDLR) pourraient s’accorder sur la réussite d’un tel défi.

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Le gâteau au chocolat. Celui des goûters. Tout simple. Pas le dessert éblouissant. Notre gâteau au chocolat. A manger avec les mains. Nous avons vu Manou le faire des dizaines de fois. Mais point de recette dans ses carnets. Et pour les ingrédients, l’exact tour de main, le four, les ustensiles ?… Plus grand chose. Idem pour la tarte au citron, le gâteau au yaourt, le gâteau de Mémé, les pets de nonne, les merveilles… Grâce à un hasard merveilleux, j’ai trouvé une piste pour reconstituer LE gâteau. Merci Lauriane. Merci La Boudio. Quelques tentatives plus tard, voici ma proposition. Réalisée avec ma part de l’héritage : le batteur, le plat et mes souvenirs.

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150g de chocolat

125g de beurre (chez nous, demi-sel)

200g de sucre

2 cuillères à soupe de farine

4 oeufs

du café fort

Dans une casserole assez grande : fondre le chocolat avec le beurre. Ajouter le sucre, puis les jaunes d’oeufs. Puis la farine. Puis le café bien corsé (l’équivalent d’un espresso).

Battre les blancs en neige. Incorporer délicatement. Verser dans le plat beurré et cuire 25 à 30 minutes à 180°C.

***

Inspirations, références :  Portrait de Danièle Mazet-Delpeuch dans le Monde du 24 décembre 2008 et La Boudio http://www.gite-laboudio.fr/

Le goût de là-bas

Pour cultiver le souvenir des goûts d’ici, c’est à dire de là-bas quand on en est revenu, faire et refaire la recette des légumes aigres-doux, tant que la saison nous le permet. Retour de Lunigiana, souvenir d’une cuisine logée dans un caveau, avec Barbara, qui s’affaire pour la joie des retrouvailles d’une famille autour d’une table. Ici j’essaye de l’imiter.

Elle coupe des oignons rouges en tranches épaisses, environ 1 cm. Les met au four chaud mais pas trop (160 maxi…), à plat sur une plaque, pour que les oignons cuisent sans colorer ni sécher.

Elle fait de même avec les aubergines, coupée en tranches, puis les courgettes coupées elles dans la longueur (en quart si elles sont petites), et avec les tomates cerises coupées en deux. Je vois bien que c’est à l’œil qu’elle décide que le temps passé au four est suffisant. Pour les tomates, c’est décisif, elles ne doivent pas être au delà de très légèrement déshydratées. À peine affaissées, encore juteuses, sans se déliter, ni même confire.

Tout ça, sans rien, nature.

Devant le plat de service, elle détaille les tranches d’aubergine en bâtonnets. Re-divise les bâtonnets de courgettes en deux. Découpe les tranches d’oignon qui se détachent en morceaux proches du carré. Divise les demi-tomates en quarts.

Enfin, elle assaisonne, en ajoutant l’un après l’autre et à main levée sur le dessus du plat : persil et basilic ciselés, ail haché, sel, sucre, vinaigre balsamique réduit (crème de balsamique ?), huile d’olive, mélange d’épices (type curry, c’est la touche personnelle).

Mêler. Manger froid ou frais.

Pour 1 saladier et environ :

3 aubergines,

3 courgettes,

4 oignons,

500 g de petites ou toutes petites tomates,

quelques brins de persil,

dizaine de feuilles de basilic,

2 ou 3 gousses d’ail,

2 ou 3 cuillerées à soupe de balsamique réduit,

2 ou 3 cuillerées à soupe d’huile d’olive

pincée de sel

2 cuillerées de sucre en poudre,

pincées de mélange d’épices et aromates.

Terroir

D’après Max Derruau, La Grande Limagne auvergnate et bourbonnaise, 1949.

« Un territoire cultivé

se distinguant de ses voisins par des caractères particuliers

d’ordre physique

ou d’ordre humain :

un relief particulier,

un micro-climat, ou si l’on préfère un climat local,

un sol,

un dessin parcellaire,

et une utilisation culturale. »

Vin de noix (vertes)

Saison à ne pas manquer pour agrémenter les étagères d’une belle épicerie, celle des noix vertes. Pour faire son vin de noix.

A régulièrement arpenter la campagne, on les voit arriver, autour de la Saint Jean, dit-on. Même si dans les carnets des grands-parents, on trouve sous l’intitulé de « vin de noix » plusieurs versions : avec des feuilles de noyer, des noix vertes ou sèches, à base de vin blanc ou rouge… A chaque famille sa recette semble-t-il. Dans un pays producteur de vin rouge, de noix et d’eau de vie, j’ai choisi de tester la version avec des noix vertes, dont la période de récolte approche. Juste assez de temps pour réunir les ingrédients et si possible un contenant qui offre plusieurs bouteilles pour la consommation de l’année, jusqu’à celle de l’année suivante ; une dame-jeanne pourrait faire l’affaire. Car il faut prévoir de patienter 9-10 mois minimum.

Base pour environ 2,5 litres de vin de noix :

– contenant(s) en verre (bocaux, bouteilles, dame-jeanne),

– 2 litres de vin rouge, pourquoi pas jeune,

– 20 cl d’eau de vie,

– une douzaine de noix vertes cueillies autour de la Saint-Jean (fin juin),

– une gousse de vanille éventuellement,

Etape 1, macération

Concasser les noix vertes et mettre tous les ingrédients dans des bocaux ou une dame-jeanne, bien fermés. Laisser macérer 6 mois dans un endroit frais. Admirer l’évolution, jusqu’à fin-décembre, minimum.

Etape 2, filtrer, sucrer

Avec une passoire fine (étamine), filtrer la préparation et y ajouter 350 g de sucre. Bien mélanger avant de remettre dans les bouteilles, bocaux ou autre. A nouveau, attendre. Mélanger souvent et attendre encore, pendant 3 mois. Vers la fin-mars, mettre en bouteilles si souhaité, prêtes à offrir ou à déguster.

 

Les moules « La Charron »

« Les choses dont nous faisons un usage plus fréquent ne nous sont pas toujours les plus connues ; ainsi nous trouvons dans les Moules une nourriture journalière, saine & abondante, & nous ignorons pour la plûpart la façon dont ces Poissons s’élèvent et se multiplient, & la pêche, je dirais volontiers la récolte qu’on en fait (…)« . Extrait du Mémoire sur les Bouchots à Moules, par Monsieur Mercier du Paty, 1750.

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Les lieux, la baie de l’Aiguillon

La baie de l’Aiguillon, au nord de La Rochelle, est une vasière, un espace gagné sur la mer et aujourd’hui une réserve naturelle nationale. Ou plutôt 2 réserves, car la baie de l’Aiguillon fait l’objet de 2 classements : l’un côté vendéen (en 1996, sur 2300 hectares), l’autre côté charentais (en 1999, sur 2600 hectares). La nature n’ayant que faire de ces frontières administratives, la baie de l’Aiguillon est un tout, entre terre et mer, un mélange des eaux, un lieu de vie de 4900 hectares. C’est le passage obligé des eaux de la Sèvre Niortaise, du Lay, du Curé et du marais poitevin. La vase contribue chaque jour au renouvellement de cette vie, aidée par la marée qui la découvre et l’expose au soleil puis la recouvre et embarque les éléments de début de chaîne alimentaire. Le phytoplancton y abonde et nourrit, entre autre les moules. La baie de l’Aiguillon est un lieu ancien de production de moules. D’abord une excellente nurserie.

Technique, les Bouchots

Ce type de production s’étale sur environ 15 mois.

Mars – mai : captage des naissons de moules sur des cordes accrochées en filets et plongées au large de la baie. Ici, c’est la moule commune qui est cultivée, la Mytilus edulis.

Juillet à septembre : les cordes auxquelles sont accrochées les petites moules sont enroulées autour des bouchots, des pieux (en chêne généralement) plantés dans la vase et disposés en lignes. Des alignements qui ne doivent rien au hasard et qui représentent actuellement environ 300 km sur cette zone de production.

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Après cette étape, les moules qui grossissent plus ou moins régulièrement selon leur position entre corde et bouchot sont récupérées et installées plus à leur aise dans un filet tout en longueur (les boudins). Ce filet retourne s’enrouler autour d’un bouchot pour plusieurs mois, le temps de l’élevage.

L’été suivant : Les moules sont récoltées par les mytiliculteurs. Environ 10 tonnes de production annuelle sur cette zone. Pour répondre au cahier des charges des moules « La Charron, elles devront être expédiées depuis les communes d’Esnandes, Marsilly, Charron (en Charente Maritime) ou de L’Aiguillon-sur-Mer (en Vendée).

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En résumé, pour s’appeler Moule de Charron, la moule doit être produite (naître et grandir) dans la baie de l’Aiguillon ET être une moule de bouchot.

De la baie de l’Aiguillon, on peut également trouver des moules de filière, dont la production se fait au large, en immersion permanente, grossissant deux fois plus vite (6 à 8 mois). Mais elles ne sauraient s’appeler Charron. Cette production représente 10 ou 20% de la production de la baie.

De production française, on trouve d’autres moules de bouchots, notamment sur la façade atlantique, plus au nord et en Manche. Les naissins proviennent cependant principalement de la baie de l’Aiguillon, vendus et exportés vers mai-juin, accrochés à leurs cordes de captage pour être enroulés sur des pieux d’autres estrans.

Recette de moules de ma grand-mère Manou, que je n’ai jamais vu écrite. A faire à l’inspiration et à main levée.

Sources :

Réserves naturelles de France : http://www.reserves-naturelles.org/baie-de-l-aiguillon-vendee et http://www.reserves-naturelles.org/baie-de-l-aiguillon-charente-maritime

Musée de la Baie du Marais Poitevin, anciennement Musée de la Mytiliculture, à Esnandes.

Le site internet consacré à la moule La Charron, publié par le Comité Régional de la Conchyliculture de Poitou-Charentes : http://www.moules-la-charron.com/index.html